Mon petit Maurice chéri est mon second roman, publié par les éditions Liralest - Le Pythagore en 2022.

Si les lieux sont bien réels, avec une prison (fermée) à Clairvaux, une cristallerie (fermée) à Bayel, et du champagne (très bon) à Baroville, les personnages et les faits racontés sont totalement imaginaires et plus ou moins grotesques.

Encore que... Ce qui est arrivé à Thérèse a hélas été le lot de nombreuses domestiques, mais ce qui aurait pu faire pleurer dans les chaumières est ici habillé par une foule de personnages et de situations comiques, marque de fabrique du galopin attardé que je suis.

Pour vous mettre dans l'ambiance, voici le premier chapitre :

                                                              Retraite


Celui-ci, ce sera vraiment le dernier. Aide à domicile pendant quarante ans, tous les jours, même le dimanche, peu de vacances, salaire de misère, retraite de misère de misère, et la responsable du secteur vient encore me supplier de la dépanner pour des cas « exceptionnels », autrement dit ingérables. Même si je peux maintenant me permettre de négocier mes interventions au tarif d’un plombier un 14 juillet, à la fin, il faut que ça finisse ! Je pensais pourtant être débarrassée de tout ça, j’étais bien tranquille devant ma porte à écosser des petits pois, avec les poules qui guettaient le moindre grain échappé, quand je l’ai vue descendre de sa Zoé électrique de fonction, avec son faux tailleur Chanel, ses faux ongles et son collier de fausses perles agrémenté d’une grande croix en vrai plaqué or. Une fois de plus, elle venait me demander de retourner au turbin.

- Non, Marie-Célestine, c’est non ! Dix ans que je suis en retraite, j’en ai soixante-dix depuis l’épiphanie, vous voulez me faire crever sur scène comme Voltaire !

- Molière, Thérèse, c’était Molière. Et puis, même à soixante-dix ans, vous êtes encore plus solide que la plupart de nos employées.

- Molière, Voltaire, tous ces pondeurs de lectures obligatoires pour la jeunesse, c’est kif-kif. Pour eux comme pour moi, c’est du passé, place aux jeunes !


Thérèse… Ah ça, mes parents ont bien réussi leur coup en me prénommant ainsi. Bon, jusqu’à mes onze ans au village, ça allait, mais une fois au collège, à Bar sur Aube, cela n’a pas loupé, pas une journée sans que mes oreilles ne s’écorchent en entendant les moqueries des garçons : « Thérèse, celle qui rit quand on la … » . Jusqu’à la fin de la troisième, j’y ai eu droit. Mais, comme à cette date j’avais terminé ma croissance, aucun puceau boutonneux n’a jamais essayé de vérifier si effectivement cette activité pouvait me faire rire. Il faut dire que j’étais un beau brin de fille : un mètre quatre vingt deux, soixante douze kilos, dont douze kilos de poitrine. Et aujourd’hui, même si j’ai perdu deux centimètres, tous les kilos sont là à la bonne place, et ce n’est pas de la graisse, je vous l’assure. Le professeur de gymnastique l’avait bien noté, qui m’avait engagée dans l’équipe de hand-ball féminine du collège. Nous avions terminé championnes de l’Académie en écrasant impitoyablement la concurrence. Ce que j’appréciais surtout c’est qu’à l’entraînement nous étions opposées à l’équipe de garçons du collège. Avec la puissance et la précision de mes tirs, je vous garantis que je me suis vengée plus d’une fois des gamins moqueurs, à commencer par le Jean-Charles, leur gardien de buts. Il avait un gros bouton sur le menton, ça faisait une cible idéale !


Mais voilà, j’ai soixante-dix ans, et je vous le dis, Marie-Célestine, je refuse d’assurer votre dépannage. Cela fait trois ans que vous n’avez pas fait appel à moi et c’est très bien ainsi. Pourquoi revenir aujourd’hui ?

- C’est que, Thérèse, je n’ai vraiment pas d’autre solution. Le client est un gros vigneron de Champagne, quatre vingt cinq ans, très riche et extrêmement odieux. Il n’aurait pas besoin de nous, mais vous comprenez, il paie bien, ça fait tourner le service.

- Et personne n’est capable de le remettre à sa place ?

- Personne. Les filles craquent l’une après l’autre. J’ai même fait appel aux collègues de Châteauvillain, rien à faire, aucune ne tient plus d’une semaine, à croire qu’il est heureux de les démolir.

- Allons donc. Qui c’est, ce monstre ?

- Maurice Bontamert, de Baroville.

- Maurice Bon… Heu, Marie-Célestine, c’est vraiment pour vous rendre service, et parce que c’est tout près de chez moi, mais là, quoi qu’il arrive, ce sera la dernière fois ! Et mon tarif a doublé depuis trois ans.

- Merci Thérèse, je savais que je pouvais compter sur vous. Et pour vos émoluments, on va rogner ailleurs, mais vous aurez ce que vous demandez. Si vous pouviez commencer demain... Il est autonome, propre sur lui, enfin, je veux dire, il n’a pas besoin de couches, même s’il ne doit pas se laver tous les jours, mais il a droit à deux heures de ménage le lundi et le vendredi, il a une très grande maison et il veut que tout brille. Comment voulez-vous faire sa lessive, le repassage, la vaisselle en retard, et astiquer les sols alors qu’il se promène dans toutes les pièces avec ses bottes pleines de terre, et qu’il vous suit partout, toujours botté, pour vérifier votre travail, tout ça en deux heures et avec le sourire ?

- Je vois, je vois. Vous bilez pas, Marie-Célestine, ça va le faire.

Maurice Bontamert ! C’est si loin, tout ça, mais comment oublier ?