Du raisiné dans le riesling

Ce quatrième roman a été publié en autoédition en août 2024.

Voici le début, pour vous faire une idée :

Tapage nocturne


   En ce mardi 12 septembre 2023 à vingt heures, le calme revenait peu à peu à Kreuzerborgheim. Les tracteurs des vignerons avaient depuis longtemps rapporté les derniers chargements de grappes dorées, les pressoirs avaient fait leur office, les vendangeurs s’étaient dirigés vers leurs cantines respectives en chantant à tue-tête – la perspective d’une bonne tarte flambée bien arrosée les mettait en joie – et les vignerons terminaient le nettoyage des caisses. Tout serait prêt pour attaquer le lendemain à la première heure.

   Chez les Fritzlustig, des retraités qui avaient fait fortune dans le commerce des boules de Noël et de la lingerie festive, il avait fallu monter le son de la télé pour ne rien perdre du journal du soir, à cause du grognement du Kracheur du voisin.

— Il en met du temps, le Félix, à laver ses caisses ! remarqua Gertrude en servant une louche de Riewele à son homme.

— T’inquiète, ma Trutrude, ça sera fini avant notre film.

Pourtant, à vingt-et-une heures quatorze, le Kracheur ronflait toujours.

— Il exagère, Félix. Je m’en vais lui dire d’arrêter, on a bien le droit de regarder La septième compagnie en paix !

— T’as raison, Gustave. Prends ton portable, t’appelleras les poulets s’il n’éteint pas son bazar.

Mais en arrivant dans la cour du vigneron, le Gustave eut une drôle de surprise.

— Ah ben ça ! Ah ben ça ! En v’là, une affaire !

Et sans se préoccuper de ses Schlopps (1), il s’approcha pour mieux voir, puis saisit son portable.

— Viens vite ma Trutrude, il se passe un truc, on n’a jamais rien vu de si pire à la télé !

Effectivement, Gertrude n’avait jamais vu une chose pareille, à tel point qu’elle en chut littéralement sur le cul, dans l’eau sale et les rafles de raisin.

— T’as appelé les poulets ?

— Non, pas encore.

— Attends, il faudrait plutôt appeler C Bouz et filmer en direct, une info pareille, ils pourraient nous payer pour avoir l’exclu !

  

   Effectivement, au vu des premières images, la chaîne télé bouscula instantanément ses programmes pour informer avant tout le monde :

— Des images exceptionnelles retransmises en direct par Gertrude et Gustave Triflich, à Krabrème. Attention, éloignez les moins de cinq ans, ça pourrait les choquer.

Et aussitôt, apparut sur des centaines de milliers de téléviseurs une image absolument surprenante, avec en fond sonore le grognement ininterrompu du Kracheur, un modèle puissant, pas celui qui sert à laver le perron des banlieusards. En vrai pro, Gustave s’approchait, se déplaçait d’un côté et de l’autre, risquait le gros plan – ils me paieront bien des Schlopps neuves ! - et des centaines de milliers de téléspectateurs commençaient à se dire qu’ils n’auraient peut-être pas dû reprendre une deuxième part de cassoulet ou de hachis parmentier.

C’est ainsi que dans un bel hôtel parisien, une charmante blonde héla son mari :

— Viens voir, mon poussinet, il se passe un drôle de truc dans tes campagnes !

Le poussinet n’était autre que Vîtfinaud, le ministre du Dedans, et dans ses souvenirs le Kracheur était destiné à un tout autre usage. Il fallait agir, vite. Donc, mobiliser son chef de cabinet.

— Bonsoir Alexis, je ne te dérange pas ?

— Heu, un peu quand même, je suis chez Lepluvieux, nous attaquons les entrées.

— Eh bien il va falloir vite passer à la sortie. Démerde-toi pour jeter un œil sur C Bouz, vois un peu ce que c’est que ce merdier et secoue nos gens sur place, avec le foin que ça va faire on n’a pas intérêt à se planter.

Dépité, le malheureux jeta un regard triste sur l’anguille fumée en fourrure et sur la bouteille de Drappier brut nature qui devait l’accompagner, et s’installa devant un petit écran, dans le bureau du patron. Tout compte fait, heureusement que l’anguille et ses bulles étaient restées sur la table ! Vite, le numéro spécial de C Bouz !

— Cabinet du ministre, passez-moi Chombier.

— En RTT !

— Merde ! Qui le remplace en son absence ? C’est au sujet du truc, là, chez les ploucs, je veux tout savoir, qui, où, quand, pourquoi !

— Ben c’est un type qui s’appelle Triflich, ou Frichtisk, c’est lui qui filme en direct, premier témoin du truc.

— Et c’est où ?

— On sait pas trop. Krabrème, Brakrème, on n’a pas bien compris mais c’est pas important, ce qui compte c’est les images, on explose les audiences, on va tripler le tarif des pubs entre deux passages.

— Je t’en foutrais, du pas important ! Ce que j’ai vu, ça demande une réaction rapide de notre police, et je ne vois pas de poulets sur les images. Trouvez-moi le numéro du portable de ce journaleux freelance, et sans vous tromper !

1 Schlopps : pantoufles

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