Les jugements dans leur époque

Voici, classés par ordre alphabétique, les renseignements que nous donnent les jugements sur la vie à cette époque éloignée et mouvementée.

Accident de la circulation : Un cultivateur reconnaît avoir roué (écrasé) une brebis mais "il ne l'a pas fait avec de mauvaises intentions".

Anticipation : c'est ainsi qu'on désigne le délit qui consiste à empiéter sur le champ du voisin. L'anticipation occasionne de nombreuses plaintes qui nécessitent souvent l'intervention d'experts.

Apprentissage : Edme Jorry, sabotier à Belley, réclame 100 livres à Jacques Bezain, sabotier au Pont Hubert, pour lui avoir montré l'état de sabotier pendant quatre mois. Comme Bezain a travaillé pour Jorry pendant ce temps, il ne paiera que 55 livres.

Battage : Le 5 juin 1797, un cultivateur de Rouilly les Sacey demande que François Henrion, manouvrier à Mesnil Sellières, termine le battage comme il s'y était engagé, et qu'il paie 100 livres pour les dégâts des souris. Henrion ne paiera que 25 livres, plus 3 livres d'amende pour propos déplacés devant le tribunal, et devra finir le travail.

Berger : Les bergers sont souvent accusés de causer des dégâts dans les cultures ou les plantations en laissant divaguer leurs troupeaux. Les peines sont souvent sévères. Ainsi Edme Briet, berger de Luyères, est condamné à trois journées de détention le 15 mai 1796 pour avoir conduit ses moutons dans un bois appartenant au citoyen Doé. Le 8 janvier 1797 il est à nouveau condamné à une journée de détention et 4 journées de travail. Le record est battu par François Deline, berger de Creney, qui écope de 15 jours d'emprisonnement pour avoir mis son troupeau dans un ancien chemin en ignorant qu'il était remis en culture.

Bois : De nombreux jugements concernent des vols de bois, même s'il s'agit souvent de quelques perches ou branches. Au moment de la Révolution, la forêt n'occupait plus que 6,7 millions d'hectares (plus de 15 millions en 2005). Les défrichements permettaient de dégager des terres cultivables pour lutter contre les famines, et le bois était le principal matériau de construction et pratiquement le seul combustible. Les arbres du marais, des bords de rivières ou de champs, étaient donc particulièrement convoités. Ainsi le 30 octobre 1796, un voiturier de Creney qui coupait une (ou huit) perche d'aunelle de la citoyenne Crussol dans le marais, est pris en flagrant délit et doit verser 3 livres de dommages et intérêts.

Chasse : Le garde champêtre de Lavau a dressé procès verbal contre le garde champêtre de Culoison, qui aurait tiré un lièvre dans les vignes de Sainte Maure. Son procès verbal est nul car les faits ne se sont pas passés sur sa commune, mais... le garde de Culoison est condamné à 3 jours de travail car il n'avait pas le droit d'avoir son fusil.

Chien : Simon Renard, berger à Sainte Maure, a fourni un chien à Eloy Bossuot, berger à Culoison. En échange, il demande quatre brebis.

Cloches : Hubert Lonnion, instituteur et curé de la commune de Luyères, a sonné les cloches pour inviter les citoyens à l'exercice du culte catholique ( à l'occasion de la Toussaint). Il paiera seulement 9 livres de dépens et ne devra plus recommencer. D'autres tribunaux l'auraient envoyé en prison pour le même motif.

Concurrence : Petite guerre entre Jolly et Mizelle, meuniers à Sainte Maure. Mizelle a levé les vannes de son moulin pour faire chômer Jolly, il a aussi pris des sacs de grain destinés à Jolly.

Crédit : Claude Gamichon, bonnetier à Pont Sainte Marie, réclame à un manouvrier de Creney le paiement de deux bonnets de coton à lui vendus et livrés... il y a environ six ans !

Curé : Le 16 octobre 1796, Hubert Lonnion, fabriquant de bas au métier, est condamné à évacuer une maison servant ci-devant de presbytère. Cet homme était en fait le curé du village, que l'on retrouve également dans les fonctions de maître d'école.

Divorce : Cette institution nouvelle encore peu répandue est à l'origine de litiges entre un propriétaire de Vailly et son ex femme : elle a semé des vesces sur une terre à chenevière. Le juge fait remarquer que le jugement de divorce n'autorise pas la femme à jouir des biens de la communauté.

Eglise : A Troyes, les églises Saint Etienne et Saint Jacques ont été achetées par des entrepreneurs qui les ont démontées pour vendre les matériaux : Le citoyen Grouselle, marchand au Pont Hubert a acheté des pierres et une marche pour aménager sa maison.

Enfant exploité : Thévenot, fabriquant de bas à Pont Hubert, a pris le fils Lécuyer à l'âge de huit ans pour ne pas le voir mendier et lui donner l'éducation de son pouvoir. Jacques Lécuyer dit qu'il est resté 9 ans chez Thévenot où il a travaillé trois ans. Il aimerait récupérer ses habits et être un peu payé...

Entretien des fossés : Le 12 juin 1797, ce sont treize propriétaires de Creney qui sont jugés pour ne pas avoir curé les fossés sur la rue de Creney et celui de l'écrevolle. Ils disent en avoir été empêchés par les pluies continuelles.

Foin : Nourriture indispensable au bétail et aux chevaux, il fait l'objet de nombreux litiges, du fauchage qui dépasse les limites du terrain au non respect des meules élevées en plein champ. Record : une plainte pour une meule élevée depuis deux ans et demi en bordure d'un chemin emprunté par les troupeaux qui attaquaient le bas de la meule au passage...

Francs : La loi du 18 germinal an III (27 mars 1795) décide que la livre prendra le nom de franc. Il faut attendre le 22 juillet 1796 pour voir ce mot apparaître, une seule fois, dans une plainte de Claude Aubry, perruquier au Pont Hubert : il réclame quatorze francs et quinze sols pour avoir razé et accomodé un client pendant neuf mois et demi. Malgré tout, on continue le plus souvent à parler de livres, aussi la loi du 7 mai 1799 impose l'utilisation du mot Franc. A partir du 12 mai 1798, les sommes étaient déjà indiquées en francs. Mais que penser de cet accusé qui propose au juge d'amener des témoins irréprochables, dont un âgé de cinquante francs ?

Fumier : Un marchand du Pont Hubert entassait son fumier au devant de sa maison et jusque sur la route, ce qui fait remonter les eaux et gêne la circulation. Le juge lui accorde six jours pour faire le ménage.

Garde champêtre : Ce n'était pas une fonction de tout repos. A Luyères, Louis Doé, propriétaire, accuse Pierre Guilloré, garde champêtre, de lui avoir laissé manger 60 arpents de bois par les moutons dans la contrée Monmorait. Le garde a beau répliquer qu'il y a trois bergers au village et qu'il ne peut savoir quel est le coupable, il doit payer 33 francs, amende, dommages et frais compris. Doé réclamait 500 F !

Glui : Il s'agit d'un lien en paille de seigle destiné à attacher la vigne. Un manouvrier de Mesnil Sellières réclame cinq francs pour en avoir confectionné 200.

Herbe : C'est un délit de cueillir de l'herbe dans un champ qui ne nous appartient pas.

Injures : Quand elles étaient prouvées, elles étaient sévèrement condamnées. Ainsi un cultivateur de Mesnil Sellières qui a injurié les adjoints de la commune pour s'opposer à la réquisition de son cheval a été condamné à trois journées de travail. Au Pont Hubert, Pierre Bail est condamné à deux jours d'emprisonnement et trois journées de travail, son épouse à trois journées de travail, pour avoir dit que la maison de Cortier est une maison de débauche, qu'il tenait bordel...

Toutefois, la veuve Gobinot n'est condamnée qu'aux dépens avec défense de recommencer : elle déclare qu'elle n'a pas traité le garde champêtre de gueux, mais de m... et de blanc-bec. (Les points de suspension sont dans le jugement)

Instituteur : Jean Baptiste Balangé, instituteur à Sainte Maure, réclame 120 livres pour avoir arpenté, fauché, charroyé du chanvre, cueilli des pommes, arraché des pommes de terre, et pour deux journées passées par sa femme et sa fille à battre la lessive et porter du foin. Le juge insiste sur le fait que le demandeur n'a pas d'autres ressources que le travail de ses mains.

Jacques Thévenot, instituteur particulier au Pont Hubert, réclame son salaire pour avoir instruit et écollé des enfants.

Jauge : Mesure pour les tonneaux. Collin, aubergiste au Pont Hubert, a fait venir d'Essoyes 7 pièces d'eau de vie "jauge Ricey" et le transporteur veut être payé. (La pièce mesurait environ 220 litres, l'histoire ne dit pas en combien de temps l'aubergiste pensait écouler son stock).

Logement locatif : Le locataire est tenu de libérer son logement "vide et vacue" à la date convenue, sous peine d'être expulsé et de voir meubles et effets jetés sur le carreau.

Marque : L'accusée se serait emparée d'un mouton en détruisant la marque pour y apposer la sienne.

Mesures : Le système décimal est long à se mettre en place : on mesure les grains en boisseaux, en picotins, les champs en arpents, en cordes, les longueurs en passées...

Navette : Deux femmes ont cueilli de la navette dans l'étendue de la commune de Lavau en prétendant que les champs leur appartenaient. Jugées le même jour, l'une écope de trois jours de travail, l'autre est seulement condamnée aux dépens.

"Oeuvres" : Une servante se plaint d'être grosse des oeuvres d'un propriétaire de Mesnil Sellières, elle réclame une pension alimentaire et une déclaration de paternité. Le juge lui demande de "faire la preuve des traits de familiarité qu'elle a eus avec le défendeur", ce dont elle est incapable. Bon prince, le propriétaire qui était son patron accepte de lui payer ses gages et de lui rendre ses affaires.

Officier de santé : Ragé, officier de santé à Troyes, réclame 72 francs à Grosley, marchand au Pont Hubert pour pansements et médicaments. Grosley répond que Ragé, qui était alors détenu à la maison d'arrêt lui a promis de le guérir radicalement contre 26 francs qui ont été payés d'avance.

Particule : Il ne faisait pas bon être noble en 1793. Quelques années plus tard, les marques reviennent, justifiées ou non. Ainsi le citoyen Larchantel, propriétaire du domaine du Davau à Vannes, devient en 1797 François Gillart Delarchantel, puis De Larchantel. De son côté, le commissaire du directoire exécutif près de l'administration municipale de Creney, Edme Debarry, devient De Barry... La marquise de Crussol, seigneur de Creney avant la Révolution, est désignée sous le nom de citoyenne Crussol, mais devient "citoyenne de Crussol" en octobre 1799. ( Elle n'a jamais habité Creney, et j'ignore si elle a été inquiétée pendant la Révolution ).

Patente : A partir de février 1797, de nombreux artisans et commerçants reçoivent des contraventions du commissaire de police du canton pour non paiement de la patente. Ainsi, Jacques Bezain, cabaretier et sabotier, doit prendre deux patentes.

Pâture : Les dates de vaine pâture étaient fixées de manière officielle. Le berger de la commune de Lavau a mené les moutons dans les prés avec l'accord de leurs propriétaires, mais avant la date du 18 octobre. Les propriétaires sont condamnés à 3 journées de travail... Même situation au hameau de Pont Hubert où 6 propriétaires sont condamnés, le même jour que ceux de Lavau, mais uniquement à payer une amende.

Percepteur : Etienne Henry et Nicolas Manchin, percepteurs de Sainte Maure, n'ont pas présenté les rôles des impositions. Ils se croyaient dispensés de le faire. Le juge leur accorde trois jours pour s'exécuter.

Pioche : Une citoyenne de Mesnil Sellières a insulté, menacé le garde-champêtre et l'a frappé de deux coups de pioche au bas ventre. Elle est condamnée... à ne pas récidiver.

Puits : Un maçon qui s'était engagé à creuser un puits à Vailly est condamné à finir son travail de façon à ce que l'eau y vienne en abondance et à le garantir pendant l'année.

Ramonage : Un jugement de police simple sanctionnait les citoyens dont la cheminée n'avait pas été ramonée. De même une cheminée ou un four fissuré, un puits mal protégé étaient punis par la loi.

Réquisition : Blaise Thomas a mis 25 jours pour conduire des chevaux à Mézières ( Ardennes ) et autres lieux, il réclame son salaire... en vain, car le syndic de la commune a changé et il n'y a plus d'argent. Par contre, quand Saint-Maurice, chef des liquidations de vivres, domicilié rue du Mouton Blanc à Troyes, dit que Jean Baptiste Fèvre, aubergiste à Pont Hubert a reçu trop pour conduire des grains de Bar sur Aube à Nancy, le juge ne parvient pas à trancher...

Saillie : Pierre Gentil, cultivateur à Vannes, trouve que Bonier exagère en lui demandant quinze livres pour la saillie de deux juments. Le juge confirme et fixe la somme à 12 livres... auxquelles il ajoute quatre livres de dépens ! Quelques jours plus tard, Louis Rivière conteste les 9 livres demandées par le même Bonier pour la saillie d'une jument. Lui ne paiera que 3 livres, plus quatre de dépens.

Saint Georges : même après la Révolution, cette journée servait de référence pour annoncer les partages de terres.

Saint Martin d'hiver : C'était la date habituelle pour payer les ouvrages de labours et charrois, avant comme après la Révolution.

Saisie : Le maréchal de Mesnil Sellières a accumulé les dettes, et ses multiples procès n'ont rien arrangé. Ses biens saisis seront vendus "tant au dedans qu'au devant de la porte du défendeur".

Saussois : Il s'agit d'un terrain planté de saules, très convoité à cette époque.

Sextidi : Rien de grivois, il s'agit du sixième jour de la décade dans le calendrier républicain.

Témoins : Un cultivateur de Luyères prétend qu'il a payé le cheval vendu par un propriétaire de Troyes; il a fait venir trois témoins... qui disent qu'ils n'ont rien vu et que l'acheteur devra indemniser de leur déplacement. Il devra aussi payer le cheval.

Tertre : Un cultivateur a labouré un tertre servant à marquer la fin de la commune de Vailly : il écope de 3 jours de détention et 15 livres d'amende.

Tromperie : Honoré Basile Jolly avait commandé une alcôve en chêne, le menuisier a utilisé du bois blanc. Il est normal que Jolly paie beaucoup moins que ce qui était prévu.

Tromperie (bis) : Un manouvrier de Creney a emprunté cheval et harnais à un jardinier de Troyes pour aller chercher du bois d'oeuvre à Piney. Il a dit que le bois était pour le jardinier, qui n'était au courant de rien, et il a gardé le bois pour lui. Il est seulement condamné à payer le bois.

Usages: Louis Beuve, maire de Creney, porte plainte contre la veuve Thomas, du Pont Hubert, qui a vendangé sa vigne avant le temps fixé par le conseil général de la commune. L'accusée se défend en indiquant que sa vigne est close et qu'elle n'est donc pas soumise aux usages. Le maire est débouté et condamné aux dépens.

Vocabulaire : On trouve des mots curieux dans les jugements:

- Le tribunal est mémoratif du paiement fait = il s'en souvient.

- Jacques Thévenot a sous-loué la moitié d'un pré à Edme Dereins, marchand boucher actuellement décédé.

- Jean Baptiste Champeaux a travaillé pour Charles Carouge. Chacun a noté les journées de travail sur son mémoire, mais il y a contrariété des mémoires...

Volailles : Jean Baptiste Lefebvre, propriétaire au Pont Hubert, reproche aux gardes champêtres de lui avoir laissé détruire une emblave ensemencée en froment. Le juge répond qu'il avait le droit de détruire lui même lesdites volailles.